Interview du romancier italien Valerio Varesi, le créateur du commissaire Soneri !
Il y a quelques semaines de cela, on a longuement présenté « Les Mains vides », dernier livre à sortir en France du grand romancier de polars italiens Valerio Varesi, qui voit son fameux inspecteur Soneri, enquêter dans un Parme caniculaire et crépusculaire, sur la mort brutale d’ un commerçant que l’on cherchait à intimider..
Lors de son passage à Lyon à la mi-avril, on a eu la grande chance de rencontrer Valerio, journaliste d’investigation depuis 30 ans, auteur qui n’a pas son pareil pour décrire formidablement bien ce Parme qu’il connait si bien, et on a profité de cet échange pour conserver longuement autour de son personnage, de sa ville et des maux qu’engendre la mondalisation…
(© Valerio Bernardi)
Baz’art : Bonjour Valerio : « Les mains vides » est déjà le quatrième de vos aventures du commissaire Soneri qui sort en France… Pouvez-vous nous préciser un peu le contexte de cette saga, que vous avez commencée à écrire il y a quelques années déjà ?
Valerio Varesi : Oui, en effet, à ce jour j’ai écrit déjà quinze romans autour du commissaire Soneri, qui sont tous parus en Italie.
« Les mains vides » n’est que le quatrième livre qui est traduit en France, et c’est en fait la 7ème aventure du commissaire, car les trois premiers que j’ai sorti en Italie, l’ont été dans de toutes petites maisons d’édition et restaient assez expérimentales et très confidentielles si je peux dire …
« Le fleuve des brumes » ( voir notre chronique ici même), le premier roman à être sorti en France, est en effet le quatrième roman où l’on voit apparaitre le commissaire Soneri,
En lien avec mon éditeur français ( les éditions Agullo), on a considéré qu’on pouvait commencer la publication de cette série avec celui-ci car les lecteurs pourraient tout à fait comprendre le personnage dans sa globalité…
Rassurez vous, il n’y a pas vraiment d’éléments majeurs dans les trois premiers volets qui permettraient de comprendre mieux Soneri.
En France, l’éditeur prend le soin de les sortir au rythme d’un an par pour respecter mon rythme d’écriture, quitte à ce que ce soit un peu décalé, puisque j’ai écrit « Les mains vides » en 2006, et il ne sort que treize ans plus tard en France, pareil pour celui prévu l’année prochaine en France, publié en 2007 en Italie…
Je ne parle jamais vraiment d’un événement d’actualité ou politique en lien avec une date particulière, il n’y a donc pas de risque, à mes yeux, que le livre soit vraiment daté lors de sa sortie en France…
Baz’art : La grande particularité de » ces mains vides » , ainsi que de le plupart des autres aventures de ce commissaire Soneri, c’est que l’enquêteur n’a pas affaire à un mal individualisé et personnalisé, contrairement à la plupart des polars qui mettent en scène un serial killer. Il doit plus lutter contre un mal économique généralisé et c’est d’autant plus compliqué pour lui à gérer, non ?
Valerio Varesi : Oui tout à fait, si Soneri doit résoudre une enquête classique au départ, à savoir le meurtre d’un antiquaire désœuvré, il va vite s’apercevoir qu’il va être surtout confronté à la criminalité financière qui a court dans la ville de Parme au courant des années 2000.
Si l’on veut résumer, disons que le criminel du roman est un prototype de l’avidité et de l’égoïsme, un peu comme l’était, toutes proportions gardées, le Père Grandet de Balzac,.
Il est comme l’illustration d’une mentalité, de plus en plus répandue dans le monde d’aujourd’hui, basée sur le libéralisme économique, la domination du marché sur la vie des personnes.
Soneri se sent ainsi un peu impuissant car il voit bien qu’il n’a pas le pouvoir de combattre des choses qui le dépassent.
Il cherche la solution aux problèmes qu’il rencontre, mais il est convaincu ,au fond de lui, qu’il ne s’agit d’une vérité seulement partielle, que son rôle a des limites .
Surtout, Sonerie est trop seul et impuissant pour juguler tous ces maux globalisés …
Baz’art : Plus précisemment, votre roman parle d’une nouvelle criminalité qui semble toucher l’Italie du nord, différente de celle du Sud, mais en même temps assez directement liée à elle….
Valerio Varesi : C’est tout à fait exact : à Parme, comme dans d’autres grandes villes d’Italie du nord comme Milan, il n’y a pas vraiment de criminalité brutale.
Mais on assiste à du blanchiment du produit de la criminalité organisée qui fait beaucoup d’argent dans le sud avec l’usure, la drogue et la prostitution.
Les marchés publics, les grands travaux sont très affectés par la corruption dans le sud. Il y a beaucoup d’argent à la clé, qui sera réinvesti dans l’Italie du nord, dans les villes dont l’économie est florissante.
On voit ainsi, que pour se déployer, l’argent de la drogue n’a pas besoin de vraies entreprises, juste de fausses enseignes, des sortes de « coquilles vides » par lesquelles elles peuvent transiter.
Donc en Italie du Nord, on peut dire pour simplifier un peu que la criminalité est surtout financière, on le voit avec les personnages d’usurier, qui sont présents dans l’histoire et qui piétinent allégrement le droit de pauvres gens désargentés qui vivent avec la corde économique …
Tout cela n’est pas que de la fiction : figurez vous que j’ai écrit ce livre en 2006 et en 2015, neuf ans après, une grande enquête journaliste a dévoilé un système de corruption très proche que je décris dans le roman.
Baz’art : Du coup, Soneri, à cause de sa lucidité et de son impuissance, semble quand même un peu désillusionné, c’est une caractéristique qui vous semble indissociable de sa personnalité ?
Valerio Varesi : Oui bien sûr, la solitude de Soneri est une composante évidente de mes romans.
Dans chacune de ses enquêtes, et peut être encore plus dans celle-ci, il a cette impression d’aller contre le vent, « à contre-courant » et il est particulièrement introspectif.
C’est un personnage un peu chandlérien, comme Marlowe qui combat seul contre le mal.
Il observe la réalité avec un coté assez lucide et désenchanté, en le confrontant aussi au monde qu’il a connu avant et cette comparaison n’est pas forcément faite pour lui plaire.
Il se rend compte que la réalité et la société dans son ensemble vont davantage vers le mal que vers le bien et cette constatation fait qu’il se sent très seul, car les autres autour de lui semblent mieux s’en accommoder que lui, semblent plus résignés à l’accepter.
(© Valerio Bernardi)
Baz’art : Mais du coup, permettez-moi ma remarque, mais on pourrait quand même reprocher à ce Soneri son côté un peu réactionnaire. Il semble sans cesse reprocher au Parme actuel de ne pas ressembler à celui qu’il a connu, d’être totalement soumis aux dictats de la mondialisation. Pourquoi n’accepte t-il pas, comme lui conseille ses proches d’ailleurs, que les choses évoluent?
Valerio Varesi : Ah non, mon Soneri est tout ce que vous voulez, mais pas du tout un réactionnaire je refuse qu’on lui colle cette étiquette (rires) …
Pour moi, c’est un moraliste c’est sûr, mais dans le bon sens du terme.
Il a connu un Parme qui se battait qui se révoltait contre le fascisme, je vous rappelle que Parme est une ville qui résista vaillamment à l’agression fasciste et défît les squadristi d’Italo Balbo en 1922 et que même le Parme des années 50/60 est marquée par cet esprit de rebellion.
Là, il ne comprend pas pourquoi tout le monde semble accepter sans broncher cette globalisation qui n’a aucun produit aucun effet profitable pour les gens du peuple.
Soneri croit en tant que citoyen à la nécessité de luttes communes, de partage de nos révoltes, de refus de la facilité, de notre nécessaire vigilance; et cela le rend fou de rage qu’on aille dans le sens contraire sans que cela ne semble gêner quiconque.
Baz’art : Ce sont des principes auquel vous croyez également profondément, j’imagine ?
Valerio Varesi : Oui bien sûr, je n’irais pas jusqu’à affirmer, comme Flaubert, que Soneri c’est moi ( sourires) , mais il est évident que je partage avec lui certaines de ses indignations .
Je fais un métier – journaliste d’investigation – qui m’amène constamment au plus près de la réalité et cette réalité m’attriste assez souvent je dois le reconnaitre ,
Cela dit, pour rebondir sur le fait que Soneri vous a semblé un peu las, un peu désabusé, je tiens quand même à vous rassurer : dans « les mains vides », il a sans doute un petit coup de mou, je l’admets facilement, mais il ressent aussi en lui une vraie rage et une vraie colère, et cela va le rebooster pour les prochains épisodes que vous allez découvrir plus tard ( sourires)…
Valerio Varesi / Les Mains vides Italie (2004) – Agullo (2019) Titre original : A mani vuote Traduction par Florence Rigollet