Critiques & Témoignages
L’Actualité du Roman Noir : La main de Dieu
L’histoire débute un 13 janvier par la découverte d’un corps à moitié immergé sous le pont le plus ancien de Parme et, non loin, une camionnette suspecte et susceptible d’avoir transporté le cadavre. Le commissaire Soneri -dont c’est ici la septième enquête traduite en français- va remonter au fil de ses recherches jusqu’au village de Monteripa « sorte d’avant-poste sous l’enceinte grise et âpre des Apennins. D’un village où l’on reste isolé tout l’hiver. Voilà où le menait l’enquête, dans le village d’où venait l’eau qui passait sous les ponts de Parme. » Et voilà que le mauvais temps provoque un éboulement sur la route, le bloquant tout là-haut ; c’est ensuite la neige qui s’y met. Le commissaire n’en demandait pas plus : amoureux des sommets (voir par exemple Les ombres de Montelupo -Agullo 2018- c’était déjà une investigation en altitude), enquêteur solitaire, il se trouve ici servi. D’autant que les villageois n’entendent pas collaborer avec lui. Et puis les portables, seul contact avec son équipe, passent mal dans ces lieux hauts perchés.
C’est pourtant une montagne très habitée, par strates verticales : d’abord le village et ses chasseurs, bruyants dans leurs battues aux sangliers, l’auberge et son propriétaire (le bar chez Egisto) lequel concocte au policier quelques plats souvent roboratifs (ce qui n’empêchera pas ensuite notre commissaire d’arpenter d’un pas vif les sentiers escarpés), le prêtre local Don Pino, un relégué quasi excommunié par sa hiérarchie pour sympathie communiste, un mafieux qui gère la seule entreprise industrielle de la localité (une usine d’embouteillage d’eau de source), des migrants sur les chemins, un garde-forestier philosophe et pédagogue : on apprend en même temps que Soneri la différence entre hêtraie, futaie, cépée. Tout là-haut enfin ceux qu’on appelle les Faunes : en rupture avec les commodités contemporaines, ils forment une solide communauté rurale, marginale et communiquent par cor. Et encore : un trafic de cocaïne qui emprunte d’étranges chemins de traverse, le cimetière qui, suite aux mouvements de terrain se délite et révèle quelques secrets, un projet de piste de ski menaçant de défigurer la montagne.
« Un contemplatif qu’on oblige à agir »
On le voit, la matière est riche, l’enquête ardue. Le commissaire est une personnalité très attachante – on a parfois envie de le protéger contre les colères qui le prennent au regard d’un monde si injuste, fausse et paradoxale fragilité d’une personnalité somme toute solide, c’est un moraliste qui se fait violence pour agir comme l’exige son métier « je suis un contemplatif qu’on oblige à agir » dit-il. L’intrigue est bien menée, les dialogues vifs, on retrouve avec plaisir Angéla, avocate et compagne, aux réparties piquantes ; et aussi son second, l’inspecteur Juvara, exécutant parfois trop bridé.
Surtout, on voit se dessiner les lignes de force des aventures de Soneri : à l’horizontalité des enquêtes fluviales qui courent le long du Pô, comme un hommage à un dieu mythologique que serait le fleuve, gardien de la mémoire historique (voir Le fleuve des brumes, La maison du commandant) du XXème siècle et de la résistance au fascisme pendant la guerre, se superpose la verticalité des recherches en altitude, souvent empreintes de spiritualité volontiers ironique comme celle-ci. Et comme un trait d’union entre ces deux domaines, les investigations dans la ville tant aimée de Parme, mise à mal par les transformations capitalistiques et l’avidité mafieuse (La pension de la via Saffi, Les mains vides). Quel que soit le thème de la prochaine parution, on ne peut qu’espérer le retour pour de nouvelles aventures du valeureux commissaire.
« La Maison du commandant » de Valerio Varesi
L’histoire : Dans le paysage d’eau et de brume de la Bassa, la basse plaine du Pô, le commissaire Soneri est à l’aise. Avec les anciens du coin, il est le seul à bien connaître cette partie du fleuve, à savoir se déplacer entre les rives, les plaines inondables, les fermes éparpillées dans une terre qui semble désormais habitée par des fantômes. Alors quand deux cadavres surgissent soudainement, c’est lui qui est chargé de l’affaire. La première victime est un jeune Hongrois, trouvé dans la boue de la rivière tué d’une balle dans la tête ; le second, un ancien commandant partisan, mort peut-être de vieillesse et de solitude dans sa maison isolée au milieu des peupliers. Deux histoires différentes, mais liées par un fil. Il faudra un certain temps à Soneri pour le retrouver, au cours d’une enquête qui le conduit dans les eaux troubles du nouveau terrorisme rouge, mais aussi dans le passé, au moment de l’occupation allemande…
Il croisera au cours de ses pérégrinations, et pour notre plus grand plaisir, quelques personnages inoubliables des bords du fleuve, dont Carega, un professeur à la retraite à la sagesse de philosophe.
La critique de Mr K : Très belle incartade dans le roman policier aujourd’hui au Capharnaüm éclairé avec La Maison du commandant de Valerio Varesi paru aux éditions Agullo il y a peu. Il s’agit de ma deuxième incursion dans les enquêtes du commissaire Soneri après le déjà très réussi Or, encens et poussière et il est clair que le présent volume a achevé de me convaincre qu’on a affaire à un grand écrivain du genre et à un personnage principal au charisme équivalent à l’inspecteur Rebus de Rankin, mon chouchou dans la catégorie flic désabusé super doué. Il y a en plus dans ce titre une dimension engagée, politiquement incorrecte marquée à gauche qui m’a diablement séduit.
Mais revenons à cette enquête du commissaire Soneri qui se déroule dans la Bassa, bande de terre longeant le Pô dans le nord de l’Italie constamment embrumée au cours de l’ouvrage et au charme insondable. Sujet aux caprices du fleuve, à la désertification car les gens n’y restent pas à part certains qui s’y font oublier, le rythme de vie y est lent et s’y côtoient des locaux aux traditions bien ancrées, des immigrés pêcheurs clandestins qui attisent le ressentiment et parfois un flic en goguette suite à la découverte d’un cadavre d’un hongrois sans papiers. Très vite, l’inspecteur Soneri trouve aussi le cadavre d’un vieux partisan (combattant antifasciste durant la Seconde Guerre mondiale) retrouvé quasiment momifié. Entre ses passages obligés dans de hauts lieux gastronomiques locaux, des rencards mi-tendus mi-érotiques avec son amante Angela, une enquête qui s’embourbe et des heurts avec le questeur qui supervise l’enquête, Soneri râle, doute et se plonge parfois dans des abîmes de perplexité. Tout ou presque se résoudra à l’allure d’un brouillard qui finit par se lever sur la Bassa livrant des secrets enfouis depuis bien longtemps…
La dimension policière ne tient qu’à un fil dans ce roman qui fait la part belle à un personnage principal torturé à bien des propos. Obnubilé par sa relation avec Angela, le commissaire Soneri n’a qu’une crainte : la perdre. Cette magistrate au charme certain lui fait l’effet parfois d’un chat qui joue avec une souris. Il faut dire qu’il est bien accro le Soneri et qu’il ne sait pas lui résister. Cela donne de savoureux passages entre les deux amants avec des dialogues hauts en couleurs et lourds de sous-entendus. Il y a de l’amour, de l’attirance mais aussi de la méfiance dans cette relation riche et complexe que l’on se plaît à suivre depuis le volume précédent dont je parlais un peu plus haut. Il se pose aussi beaucoup de questions à propos de son métier qu’il exerce avant tout pour venir en aide au public mais dont la fonction réelle (relai du pouvoir en place et mise en exécution des lois) va lui revenir en pleine face quand il sera confronté à des suspects appartenant à la mouvance de l’ultra-gauche. Le doute déjà présent dans son esprit va se développer et l’amener à se faire violence et à devoir se confronter à ses propres contradiction. On explore ce phénomène antinomique avec grand plaisir, Valerio Varesi excellant dans la mise à nue des motivations conscientes et inconscientes de ses protagonistes. Et puis, il y a les pauses dégustations qui donnent l’eau à la bouche (oui je suis gourmand) et les discussions à bâtons rompus avec les amis qui donnent une profondeur incroyable et touchante au personnage de Soneri, un être qui par bien des aspects me ressemble et forcément force mon empathie.
L’enquête est présente cependant je vous rassure et va se révéler compliquée une fois de plus. Les deux morts semblent ne pas avoir de lien direct mais au fil de ses investigations et des indices qu’il va découvrir ou que l’on va lui fournir notamment son fidèle affilié, l’inspecteur Juvara qu’il envoie régulièrement bouler au téléphone, Soneri étant rétif et souvent plongé dans ses pensées ou tout autre chose. Peu à peu, les brumes se lèvent, il est notamment question d’un trésor de guerre caché quelque part et qui attise les convoitises, une série de cambriolages de DAB, des groupuscules anticapitalistes qui s’agitent et des immigrés qui se déplacent le long du fleuve. Des liens ténus se forment, des fausses pistes sont empruntées et des révélations bien senties servies par des personnages étranges (le vieux professeur handicapé qui ne sort que la nuit obtient la palme à mes yeux !) vont mener Soneri vers des rivages inexplorés avec notamment l’émergence de vérités qui font mal et de retour à la réalité brute (celle de notre époque où le néo-libéralisme sauvage est bien trop sûr de lui malgré les gros avertissements que sont le réchauffement climatique, la crise de la COVID19 et les drames sociaux qui couvent). La révolte gronde dans ce microcosme, cette campagne mystérieuse où l’on peut se perdre facilement et qui est finalement une belle métaphore de notre époque.
La Maison du commandant se lit tout seul grâce à la merveilleuse écriture d’un auteur au phrasé poétique lors de l’évocation de la nature, efficace et sec dans des dialogues qui alternent moments de tension intense et humour qui frappe juste. On prend un plaisir incroyable durant toute cette lecture qui divertit, interroge et fascine à la fois dans ses aspects plus philosophiques au détour d’une enquête qui va plus loin que le simple meurtre d’un tiers. Un roman policier au charme puissant et envoûtant que je vous invite à découvrir au plus vite.
Les 50 meilleurs livres de 2020
Comme un feu d’artifice, voici les coups de cœur des journalistes des pages Livres pour l’année 2020. Une sélection de romans, de récits, de polars, d’essais et de bandes dessinées
Chacun, chacune a reparcouru ses lectures et ses articles de l’année pour se souvenir des élans, de l’admiration et des émotions ressentis afin d’établir cette sélection, forcément très subjective. Voici les réponses: 50 coups de cœur, 50 lectures qui ont marqué cette année hors-norme. (Lisbeth Koutchoumoff Arman)
Les brumes de Parme
Valerio Varesi retrouve ici la saison froide qui lui est chère. Envahi par le doute, son commissaire, Soneri, part sur les traces d’une femme d’origine roumaine dont le corps a été retrouvé carbonisé près d’un carambolage. D’une grande beauté, elle avait été la maîtresse de plusieurs hommes de la bonne société parmesane. Une manipulatrice? Une victime? Soneri va devoir trancher. Or, encens et poussière n’est toutefois pas que le roman d’une enquête. C’est le portrait d’une ville où l’auteur s’attarde avec tendresse sur les petites gens et ceux qui sont différents. (M. D.)
Valerio Varesi, «Or, encens et poussière», traduit de l’italien par Florence Rigollet, Agullo, 298 pages
Lire aussi: Valerio Varesi renoue avec Parme en hiver
Les capitales du roman noir Parme, requiem pour une ville défunte
Or, encens et poussière
Créateur du personnage récurrent du commissaire Soneri, désormais très populaire en Italie, Valerio Varesi situe tous ses romans dans la cité ducale chère à Stendhal. Le brouillard y est fréquent et, derrière les vieilles pierres, le monde moderne pas très lumineux
Asti, 21 août 2020 Par Alain Léauthier
Valerio Varesi, 61 ans en ce mois d’août, est né à Turin, mais c’est Parme qui colle à ses semelles et revient sans cesse sous sa plume. « Si je dois imaginer une ville, dit-il souvent, forcément je pense toujours à Parme… » Des personnages de sa vie à ceux de ses livres, tout rattache cet homme aimable à la cité ducale d’Émilie-Romagne que, de ce côté-ci des Alpes, on associe encore à Stendhal et à une certaine chartreuse lui ayant assuré une éternelle gloire littéraire. Justement, plus francophile que Varesi, c’est difficile. Il parle notre langue, aime parcourir le bocage normand et les collines provençales, admire Léo Malet, le père de Nestor Burma, et, dans son panthéon littéraire, Simenon figure
Très haut aux côtés de son compatriote sudiste Leonardo Sciascia. Pourtant, Valerio Varesi a dû longtemps patienter jusqu’à la fin 2016 exactement, avant que soit traduit en France un de ses polars, bâtis autour d’une figure romanesque, le commissaire Franco Soneri de la Questure de Parme, désormais aussi familière outre-Alpes que celles du commissaire Montalbano, imaginée par le regretté Sicilien de Porto Empedocle, Andrea Camilleri, ou du commissaire Ricciardi, inventé par le Napolitain Maurizio de Giovanni.
Publié à la fin de mai aux éditions Agullo, Or, encens et poussière est paru treize ans plus tôt en Italie. Avec peu de moyens, depuis 2016 donc, Agullo rattrape peu à peu ce retard, dont Varesi croit comprendre les raisons. « Il me semble qu’à l’étranger, l’Italie du roman noir est perçue à travers le filtre du cliché criminel mafieux ou camorriste, et celui qui s’éloigne de tout cela trahit les attentes
des lecteurs étrangers très souvent fourvoyés par cette image italienne.» De fait, dans l’imaginaire collectif, Parme doit moins sa réputation aux méfaits de la malavita qu’à deux produits emblématiques de la gastronomie transalpine (jambon et fromage) et à la richesse de son patrimoine. Ainsi, quand on lui rend visite, Varesi vous entraîne-t-il aussitôt piazza del Duorno, où il joue les guides éclairés devant la cathédrale décorée par le Corrège ou la verticalité intimidante et octogonale du Baptistère de marbre rose. Dans les quinze opus de la série Soneri, il met constamment en scène cette Parme cossue et gourmande,
fière de ses vieilles pierres, menant des activités en apparence paisibles et légales sous les « ors » de son passé prestigieux. Pour conjurer les impasses d’une enquête ou les tourments d’une vie privée compliquée, Soneri s’attable régulièrement devant un plat d’ anolini, (des raviolis en bouillon), un tortelli de pommes de terre, des tripes ou des tranches de culaccia (charcuterie typiquement parmesane). Comme son « héros », avec lequel il se dit « d’accord » sur l’essentiel, Varesi apprécie aussi la bonne chère, goûte sans honte les bienfaits de l’enracinement, mais, malgré les habits d’ ap –
parat, il ne nourrit guère d’illusion sur la nature déliquescente de sa ville d adop – tion. Métaphore morale et politique autant que réalité climatique locale, dans nombre de ses livres une brume persistante et envahissante fait écho aux incertitudes d’un Soneri vieillissant comme à l’opacité des milieux de pouvoir auxquels ses investigations le confrontent : ceux qui ont pignon sur rue (élus, hauts fonctionnaires…) et ceux qui agissent en marge des lois (mafias sudistes blanchissant l’argent sale dans le Nord ou nouvelle criminalité venue des ex-pays de l’Est). Les uns et les autres liés,
complices ou en guerre ouverte au gré des opportunités.
Territoire mental
À la seule aune de cette veine très courante dans le roman noir actuel (le « dévoilement » de l’état du monde), Varesi ne se distinguerait guère d’une foule d’auteurs de toutes nationalités. Mais il y ajoute sa patte, une écriture élégante en quête de « l’âpre vérité » chère à Stendhal (encore lui…) et, bien sûr, Parme. Un territoire précis, physique et mental dont Varesi et Soneri, roman après roman, cartographient les mutations sous les effets conjugués de la mon-
dialisation des échanges et de la confusion croissante des valeurs et des comportements humains.
Dans le dernier roman, la piazza del Duomo, coeur patrimonial de la ville, sert de décor à un mariage unissant symboliquement une dynastie locale « blasonnée » et une famille de joailliers affairistes travaillant de mèche avec un groupe de Roms spécialisés dans le pillage des objets en or dans les églises. « Cette espèce de profanation nocturne qui transformait la piazza en défilé de haute couture ne manquait pas de vulgarité, écrit Varesi. […] Le caquetage au milieu des marbres sculptés d ‘Antelami jurait avec les notes de l’orgue qui s’échap-
paient du porche grand ouvert de la cathédrale. » Soneri a ses refuges pour tenter d’oublier des bouleversements le rendant sans cesse plus nostalgique d’un passé forcément fantasmé. La chaleur d’un bar à vin où il devise avec un noble déchu se nourrissant des restes laissés par les convives, celle d’un bistro figé dans le temps, La Latteria, « patrie perdue de ses espoirs de jeunesse » et de longues balades solitaires et nocturnes dans des nies désertées. Le commissaire y traque la beauté intacte d’édifices ayant échappé aux laideurs de la spéculation immobilière, et, plus encore, l’esprit de résistance d’une des rares villes italiennes à s’être dressée avec succès contre l’avancée des fascistes en 1922. Mais cette Parme, située plus particulièrement dans le quartier prolétaire de l’Oltretorrente, de l’autre côté de la rivière qui lui donne son nom, a disparu. Les usines sont désormais à dix kilomètres du centre, les zones commerciales et les entrepôts grignotent la campagne, les « ouvriers en bleu de travail et à vélo […], les ménagères qui faisaient leurs emplettes en se hélant en dialecte d’un trottoir à l’autre » ont laissé place aux cadres supérieurs « en uniforme de représentation, parfumés et amidonnés » comme à ceux, venus du monde entier et étrangers à une histoire ignorée, qui les servent ou se servent et par tous les moyens possibles. Évoquant sa créature, Varesi reconnaît former avec elle un couple de « deux êtres mécontents et déçus de la manière dont le monde a évolué ». Ils éprouvent pareillement l’urgence de quitter Parme pour les Apennins tout proches où, enfin, le brouillard disparaît en s’élevant vers les sommets. Dans Or, encens et poussière, Soneri mène à bien son enquête, et, à défaut de pouvoir changer l’ordre des choses, sauve ses amours. Valerio Varesi n’a pas trouvé meilleur manifeste pour continuer à vivre.
VALERIO VARESI, un auteur incontournable pour ceux qui veulent connaitre le Polar italien.
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CHRONIQUE «JEUDI POLAR» LES OMBRES DE PARME par Alexandra Schwartzbrod
CHRONIQUE «JEUDI POLAR» LES OMBRES DE PARME
Par Alexandra Schwartzbrod — 13 août 2020
Avec «Or, encens et poussière», l’auteur italien Valerio Varesi nous attache à un flic tout en douceur et en chagrin.
Il faut aimer les polars un peu éthérés pour se plonger dans le dernier roman de l’italien Valerio Varesi. Surtout ne pas s’attendre à des scènes de castagne, à un personnage de dur à cuire cynique et désabusé. Non, ce polar-là est pour les rêveurs, les poètes. Son héros, le commissaire Soneri, au passé tragique (il a perdu une femme et un enfant), est un homme éperdument amoureux qui crève de trouille de perdre la femme qu’il aime. Angela ne lui a pas caché être attirée par un autre et joue un peu avec lui, attisant sa jalousie et son insécurité. Il passe donc ses journées à arpenter les rues de Parme, sa ville, pour penser à autre chose, espérant et redoutant à la fois croiser l’amant sur son chemin. Gourmand, il s’arrête souvent dans un bar à vin pour manger du grana en buvant du Lambrusco avant de fumer un bon toscano.
C’est un grand romantique, ce flic, et cela explique aussi pourquoi il se prend d’intérêt pour Nina Iliescu, une immigrante roumaine d’une grande beauté dont le corps a été retrouvé carbonisé au bord d’une route dans la plaine du Pô, à proximité d’un lieu fréquenté par les gitans. Elle semblait être prête à tout pour s’arracher à sa vie précaire, trouver un homme, fonder une famille. Et d’ailleurs, elle était enceinte quand elle a été tuée, et cette information serre le cœur de Soneri. Qui était vraiment cette femme ?
A force d’enquêter, Soneri découvre que Nina collectionnait les amants au sein de la haute société parmesane et qu’elle s’était fait une spécialité de les quitter en les laissant frustrés et furieux. Sa mort est-elle une vengeance ? Un règlement de comptes ? Un coup de folie ? L’intrigue est un peu dure à suivre mais peu importe, ce roman vaut surtout pour un personnage secondaire, formidable, Sbarazza, un clochard en costard, homme d’une grande élégance qui a l’habitude d’entrer dans les restaurants pour prendre la place de consommatrices (uniquement des femmes) et finir leurs assiettes ni vu ni connu. Il vit dans la rue mais on l’appelle Monsieur le marquis.
Alexandra Schwartzbrod Site Libération
Chaque samedi, Bernard Poirette vous fait découvrir ses coups de cœur en matière de polar.
Musique de la série télévisée italienne “Nebbie e Delitti”